Jeudi 15 mars
Après deux jours presque idylliques à Treasure beach (résumé rapide du 1er soir : nous dînons dans un café très sympa sur la plage, et nous régalons de pizza et de glace haagen-dazs ; subséquemment je me fais disputer pour cause de mauvaise influence nutritionnelle; nous rentrons nous coucher, pour trouver : un matelas qui sent le vomi, une moustiquaire trop petite et pas hermétique, et une musique infernale dans le bar en face de notre chambre), nous négocions avec notre ami le vendeur de fruits pour qu’un quelconque véhicule motorisé nous emmène à Alligator Pond, « the ultimate offbeat spot ». Après moult négociation et malgré sa tête de benêt, nous finissons par monter dans la voiture d’un villageois.
Sur le chemin, nous avons prévu de nous arrêter à Lovers' Leap, «the ultimate romantic spot» selon le Lonely. La légende raconte qu’une jeune esclave et son amant ont sauté de cette falaise vertigineuse dans la mer pour échapper à leurs maîtres ; légende savamment entretenue par le restaurant « Eternal lovers' leap » qui organise des réceptions de mariage (voir prospectus ci-joint) et dont la serveuse, finaude, nous bombarde de questions (« are you on your honeymoon ? no ? so are you getting married soon ? »).
Après avoir bu un verre sur le balcon du restaurant et admiré la vue panoramique en réfléchissant à un moyen de faire parvenir notre pièce montée et tous nos invités jusqu’à cet endroit un peu reculé, nous reprenons la route avec notre chauffeur.
Nous ne tardons pas à constater que le brave est non seulement benêt, mais également illettré, puisqu’à l’instant même où nous dépassons un panneau « Positively no dumping in this area », il jette négligemment sa canette de cola par la fenêtre. Après nous avoir demandé une cinquantaine de fois comment s’appelle notre hôtel (Sea-Riv, un nom éminemment complexe), il s’arrête enfin devant un grand bâtiment blanc qui ressemble étrangement au Grand hôtel de Palavas-les-flots, et assez peu aux cabanes miteuses auxquelles nous sommes désormais habitués. Nous demandons au nigaud de nous attendre, le temps de demander à la réception s’il reste des chambres libres. Naïfs que nous sommes : le staff de l’hôtel se compose en tout et pour tout de deux personnes qui semblent passer leur temps en sous-vêtements, enfermés dans une chambre à regarder des films d’horreur, toutes lumières éteintes, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement en train de zoner sans but précis dans les couloirs. A l’exception de celle qui leur sert de salle de projection privée, nous avons donc l’embarras du choix en ce qui concerne les chambres, et nous nous installons donc dans une chambre donnant sur la plage, avec plus (martin) ou moins (moi) d’enthousiasme.
Les murs s’effritent, le sol de la douche est couvert de traces noires non identifiées et l’eau est bien entendu glacée (chose à laquelle nous ne prêtons presque plus attention, nous estimant heureux d’avoir de l’eau courante) ; par ailleurs, je n’ai emporté pour toute lecture que mon cahier de russe et ma bibliographie de mémoire ; alors que Martin s’installe d’un air guilleret avec son livre et m’annonce qu’ « on va être trop bien ici », je me trouve rapidement au bord de la neurasthénie. Nous décidons de partir explorer les environs : la plage est magnifique, et nous apercevons quelque chose qui ressemble à un village un peu plus loin.
Après 20 minutes de marche, nous arrivons au restaurant Little Ochie, fameux pour ses poissons et fruits de mer, et entrons pour demander un menu. Grave erreur : le restaurateur jamaïcain ne connaît pas ce genre d’accessoire, il se contente de pointer du doigt vers un gros congélateur où est stockée la pêche du jour. Après pas mal d’hésitations (« oh il est si mignon celui-ci avec ses reflets roses »), nous optons pour deux jerk snappers, jerk n’étant pas une insulte envers le malheureux poisson mais bien une façon de le cuisiner, en papillotes. On nous propose des bammys en guise d’accompagnement ; soucieuse de rattraper l’épisode de la pizza et de la glace, je vérifie auprès de la serveuse qu’il s’agit bien d’un légume, et nous en commandons. Nous découvrons rapidement que le jerk fish est un régal, et que le bammy est en fait une sorte d’étouffe-chrétien à base de manioc.
Pour digérer ce déjeuner tardif et roboratif, nous nous promenons dans le village d’Alligator Pond, qui est plein non pas d’alligators, mais de petits magasins bariolés aux noms aussi divers que Detergent – Whole sale and retail, Sea-view Plaza, ou Michie Boo’s Ice Cream World.
Mon influence néfaste se faisant à nouveau sentir, nous pénétrons dans le monde de la glace, qui se résume en fait à un minuscule congélateur contenant quelques esquimaux sortis tout droit des années 80. Après avoir dégusté des curiosités telles qu’une glace-sandwich, nous flânons un peu dans la Modern style botique d’Alligator Pond, et reprenons le chemin de l’hôtel. Nous passons par les dunes, qui forment une sorte de banlieue du village, et constatons que là encore, la tôle ondulée fait loi.
Après un millénaire passé sur notre lit à lire, pour d’aucuns un livre passionnant, et pour d’aucunes un cahier de grammaire russe, nous décidons de partir en quête de la nightlife alligator-pondienne. Pour cela, il s’agit tout d’abord de trouver une personne susceptible de nous informer sur ladite nightlife et sur ses hauts lieux ; après avoir erré dans les couloirs déserts de l’hôtel, je tombe par hasard sur son seul et unique groom, lui aussi occupé à errer. Il me montre une lumière au loin (il fait nuit noire à partir de 18h en Jamaïque), et devant mon air décontenancé, propose de nous y emmener.
(...)